Ouille ouille ouille, ça fait mal les lendemains de push !!
Couchés à 6h15, nous n’émergeons de nos sacs de couchage que vers 14h. Il fait moyennement beau mais le soleil qui pointe parfois le bout de son nez réchauffe alors en un clin d’œil les portaledges, il y fait très bon. Nous ne disons rien, ne faisons rien, nous nous laissons bercer par le doux bruit des flocons qui fondent doucement sur la tente du portaledge que l’on appelle « fly », par le bruit du vent qui fait bouger nos cordes encore accrochées au relais quelques dizaines de mètres plus haut, par le vacarme des avalanches qui dévalent régulièrement les couloirs environnants, par les cris des corneilles qui se demandent toujours si nous allons oui ou non leur laisser quelque chose à manger…
C’est un temps de méditation, de relaxation, de repos, un temps hors du temps. J’ai l’impression que nous ne sommes bons à rien d’autres qu’à … larver ! Sean dort encore. Je tapote sur ce message sur l’ipad, j’entends le réchaud qui turbine dans l’autre portaledge. Tout à coup Steph rompt ce silence et nous dit : « Les gars, j’ai des gelures, je ne sens plus mes pieds et c’est pas beau ». Merde de merde !
Nous sommes encore à 5200m, il est trop tard et nous sommes trop fatigués pour entamer la descente, pourtant il le faudrait. Nous mangeons un bout chacun dans nos portaledges en pensant aux pieds de Steph. Sean et moi ne pouvons presque rien attraper, nous avons les mains défoncées. Une fois rassasié, je m’équipe pour aller voir Steph et lui apporter la pharmacie. Je découvre alors que Nico n’est pas au mieux, il a de la fièvre, il est épuisé et ne se sent de rien faire. Il a des frissons aussi et reste donc tranquillement dans son sac de couchage. Le pied gauche de Steph a une sale tête, trois orteils sont bien noirs, disons violacés plutôt jusqu’à la première phalange. Je ramène à Steph un de mes petits bacs en plastique pour matériel photo pour qu’il puisse faire un petit bain d’eau chaude à son pied.
La nuit tombe déjà. Je retourne voir Steph après avoir obtenu le numéro du service SOS Gelures de l’Ifremmont, afin de passer un coup de fil avec le téléphone satellite. Il faut bien que ça serve à quelque chose. Je tombe sur une femme médecin très agréable et attentive. Je lui décris le plus précisément les symptômes et elle nous explique la marche à suivre. C’est très clair : Steph n’est pas loin d’avoir des gelures de stade 3 et il faut impérativement qu’il perde de l’altitude au plus vite. Elle nous explique qu’il doit à partir de maintenant prendre de l’aspirine 250mg par jour et des antibiotiques parce que ses pieds vont faire des cloques très vite et risquent donc de s’infecter. Pour le reste, puisque le bain d’eau chaude a déjà été fait, il ne reste pas grand chose d’autre à faire. Elle me demande si nous avons un caisson hyperbar avec nous. Je lui explique que nous sommes encore en paroi et qu’il n’y en a pas non plus au camp de base, nous sommes dans un coin paumé de la Chine et non pas au camp de base du K2 ! Bref, pas de caisson quoi.
La communication coupe et je n’ai pas le temps de la remercier malheureusement mais nous nous promettons de le faire dès que possible.
Nous nous couchons en sachant que demain sera dévolu à une descente la plus rapide possible vers le camp de base. Nous élaborons tout un tas de stratégies mais sans savoir vraiment combien de temps nous allons mettre pour rejoindre le pied de la paroi, il est bien difficile de savoir si nous arriverons à rejoindre le camp de base le jour même.
Priorité, se reposer pour être le plus en forme possible demain.