Le temps de la veille ayant été neigeux toute la journée et la face étant totalement plâtrée, nous n’étions pas tous très motives pour faire une tentative vers le sommet aujourd’hui. Steph et Nico dans un portaledge n’avaient pas franchement envie de passer une journée à déblayer la neige et surtout à se cailler, tandis que Sean et moi étions plutôt très chauds pour tenter le coup. Nous avons donc eu une discussion de portaledge à portaledge et nous avons finalement convenu qu’au regard de notre faible autonomie en nourriture, il serait trop aléatoire et risqué de ne pas profiter de la première journée de beau temps venue même s’il y avait de la neige sur la face.
Nous avons donc mis l’alarme à 7h et nous sommes endormis aussi excités que la veille, en espérant que cette fois le temps au réveil serait au beau.
Quelques nuages mais un ciel globalement bleu, voila le tableau au réveil, un tableau qui nous a décidé à tenter le push vers le sommet.
Départ sur les cordes fixes vers 8h30. Sean est une machine ce matin et avance comme un avion sur les statiques. Steph le suit mais n’est pas en forme et me laisse passer. Un peu plus haut, je galère et perds des forces dans une remontée en traversée dans laquelle la corde était trop tendue pour la technique que j’utilise. Je ne rejoins Sean qu’une bonne heure et demi après son arrivée au bout des cordes fixes. Il a tout préparé et déborde d’énergie. Je ne prends même pas le temps de m’installer et l’assure au plus vite pour qu’il puisse grimper la longueur suivante, peut-être la dernière longueur de rocher de la voie. Nico ferme la marche et prépare avec Stéph les relais qui nous serviront pour la descente.
Sean attaque la longueur suivante en rocher avec quelques résidus de neige de la veille mais rien de terrible. Le soleil généreux a déjà nettoyé la voie du gros de la chute de neige. Il fait froid mais dans le feu de l’action, c’est plutôt agréable. Nico le suit et nous montons Steph et moi avec toutes les affaires sur la statique qu’ils ont fixé.
Au relais suivant, il faut enfiler les crampons et préparer les piolets, je m’en réjouie et je m’encorde cette fois pour grimper. Nico fait cette longueur de mixte bien marrante et nous suivons Sean et moi, en flèche. La longueur suivante est une magnifique goulotte de glace parfaite. Sean la randonne littéralement et nous suivons joyeusement Nico et moi. C’est cool, ça va vite ! Puis Nico enchaine avec une longueur en neige qui nous fait franchir un échine et buter contre un ultime ressaut rocheux qui semble bien délicat avec des draperies et peu de lignes de faiblesse. Nous n’avions pas prévu ça, il est deja 17h. Sean attaque par une traversée délicate sur de fines coulures de glace posées sur du rocher. Puis il franchit non sans mal un étroit goulet et enchaine dans une dalle de rocher avec seulement quelques fissures bouchées de glace. C’est une magnifique longueur de mixte, la plus dure qu’il ait jamais gravi dira-t-il plus tard. Il crie « relais, vaché », nous sommes soulagés et montons le rejoindre au plus vite.
Suit une grande longueur de neige, ça n’en finit pas. Au relais, Sean zippe du pied et vient planter ses deux crampons dans mes deux genoux. Rien de grave mais une petite frayeur et une bonne douleur sur le coup. Il enchaine dans une nouvelle pente de neige et se retrouve rapidement en bout de corde. Nous le suivons donc en corde tendue (j’aime pas ça) sans aucune protection entre nous (j’aime vraiment pas ça) et Sean qui a du trouvé un relais ou un coin plus confortable nous tire Nico et moi comme un fou alors que nous sommes en plein dans une grande traversée horizontale dans une pente raide en neige inconsistante et pulvérulente sous d’énormes corniches. Nous hurlons « ne tire pas !!! » sentant que nous allons bientôt être entrainés dans la pente. Mais il ne cesse de tirer, il ne nous entend pas. Nous le rejoignons finalement sur un replat de neige.
Nous sommes au Kirghizstan !!!!
J’enchaine par une nouvelle traversée versant kirghize pour retrouver un vrai relais sur du rocher parce que là, le relais sur lequel Sean nous a tous assuré n’est constitué que des deux piolets de Sean plantés dans la neige molle, autant dire que c’est pas top !
Le soleil se couche alors que j’assure mes trois compères qui me rejoignent. La nuit tombe rapidement et le vent de ce cote est plus fort et glacial, la température chute brutalement. Reste encore quelques mètres en mixte. Nico monte et fait relais sur un bloc rocheux trois mètres sous le sommet. C’est gagné. Nous sommes congelés mais heureux. Il est 22h!
Nous ne trainons pas et entamons la descente au plus vite. Un rappel en traversée sur la crête neigeuse puis un autre sur le replat où Sean nous assurait quelques temps plus tôt que nous tentons d’améliorer avec d’autres piolets et en creusant une sorte de corps mort. Nous rejoignons un bloc rocheux sous une corniche et y faisons un relais intermédiaire. Puis un autre sur une échine rocheuse. Nous sommes à nouveau en Chine. De là, nous descendons presque tout droit dans la face en espérant retrouver rapidement nos relais de montée, car Stéph les a préparé tout au long de la montée afin que nous puissions descendre le plus vite possible. C’est chose faite deux relais plus bas. 0 partir de là, nous accélérons la descente mais le temps de tirer les cordes, améliorer un peu les relais, les trouver dans le noir, nous mettons tout de même un peu de temps et ne rejoignons le camp qu’à 4h du matin. Une corde s’est coincée quelques 70 mètres au dessus du camp, nous irons la récupérer plus tard.
Au portaledge, nous sommes épuisés mais aussi affamés. Le temps de faire de l’eau et de manger, nous nous couchons à 6h15 du matin.